Notes prises lors de la conférence d’Isabelle Saint Martin « l’enseignement du fait religieux à l’école » le 11 12 2017

La question de l’enseignement du fait religieux à l’école est revenue sur le devant de la scène depuis 2015.

Parler des religions

Dans le contexte scolaire, les lois, dites Ferry et Goblet, ont posé à la fois la gratuité de l’enseignement et la laïcisation des locaux, des contenus de l’enseignement et des personnels. Les instituteurs se sont voulus les champions de cette laïcité en mettant fin à un enseignement de l’histoire sainte apprise en même temps que l’alphabétisation au sein de l’école primaire et secondaire depuis les lois Guizot (1833) et Falloux (1850) jusqu’au second empire puis seulement dans le primaire après 1860. Cet enseignement donnait une grande culture religieuse, catéchétique et d’histoire sainte. Les catholiques du 19ème siècle connaissaient très bien les récits d’histoire sainte, leur culture, leur littérature, leurs œuvres d’art en étaient pétries. C’est donc un bouleversement qui se met en place, mais qu’il ne faudrait pas voir dans un contexte d’hostilité : la laïcisation des locaux doit se faire avec tact pour ne pas heurter la population ; la lettre adressée aux instituteurs le 17 novembre 1883 par Jules Ferry, conscient du choc de remplacer l’instruction morale et religieuse par l’instruction morale et civique, rappelle la distinction entre « les croyances qui sont personnelles, libres et variables, et [les] connaissances qui sont communes et indispensables à tous. » et qu’un bon père de famille doit pouvoir s’asseoir autour de la table et n’être choqué de rien de ce que dira l’enseignant. Il va en résulter un climat de statu quo à l’égard du religieux qui conduit à éviter d’en parler à l’école dans cette idée de laïcisation et aussi de respect des croyances et des consciences de chacun. On ne parle pas des croyances à l’école, ce qui n’empêche pas de parler des guerres de religions, de l’islam comme civilisation. Il y aura des moments de raidissement : le livre « le tour de France de deux enfants », manuel de lecture, d’histoire, de géographie, d’écriture, de calcul, qui est expurgé de toute référence religieuse.

Le débat revient au début des années 80 avec le souhait de François Mitterrand de supprimer l’enseignement privé sous contrat en 1981. La question sur la place d’une connaissance des religions à l’école est relancée. Peu à peu, on prend conscience qu’arrive au collège et au lycée une population d’origine beaucoup plus diversifiée pour laquelle la culture humaniste et générale plus ou moins teintée de connaissances religieuses n’est plus la norme.

En 1996, on donne une place aux faits religieux dans les nouveaux programmes de lettres et d’histoire : en 2nde on remet un peu d’histoire de l’antiquité avec les grandes questions au milieu desquelles la naissance du christianisme, en 6ème en littérature des extraits bibliques seront proposés parmi les textes dits fondateurs, au même titre qu’Homère ou que les métamorphoses d’Ovide.

Ces avancées sont en débat et contestées. Le rapport Debray en 2002 s’inscrit donc dans un large mouvement de réflexion sur ce sujet qui est cristallisé avec la parution du livre de Régis Debray « Dieu, un itinéraire », avec les évènements du 11 septembre 2001, et les débats dans certaines classes avec le refus d’observer la minute de silence.

Ce rapport pose un certain nombre de principes à l’enseignement du fait religieux : la nécessité de distinguer le religieux objet de culte du religieux objet de culture, de passer d’une laïcité d’incompétence (au sens juridique : on n’a pas compétence à…) à une laïcité d’intelligence (dans le sens de vivre en bonne intelligence avec…). Il ne s’agit pas de prendre parti pour ou contre le religieux, mais de prendre acte de fait religieux dans la culture, d’inscrire la connaissance du fait religieux dans différentes disciplines (et pas seulement en histoire)  littérature, philosophie, langue avec la notion de civilisation, histoire des sciences, socio économie. Il prône la nécessité de la formation des enseignants par un module de formation dans les IUFM.

L’expression « le fait religieux » :

Cette expression a fait débat et suscité deux vagues de critiques opposées :

– celle du philosophe Henri Pena Ruiz : parler de religion à l’école c’est remettre Dieu à l’école, ça ne peut être qu’un cryptocatéchisme, pas de possibilité d’avoir un regard distancé et critique.

– celle de la philosophe Catherine Kintzler : enseigner le fait religieux peut laisser supposer qu’il y aurait un substrat intemporel, anhistorique, un donné préexistant à toute civilisation, dans lequel on aurait à se placer, dont on ne pourrait pas s’extraire : il y aurait un risque d’essentialisation du fait religieux en employant cette expression.

Cette expression n’est pas entendue comme ça à l’IESR.

L’IESR est créé au sein de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. EPHE a été créée en 1868 par Victor Duruy et soutenue par les régimes suivants, à la suite de la défaite de 1870, avec l’idée d’avoir au sein de l’Université un lieu de formation à la recherche par la recherche, pour répondre à la science allemande. Après la perte des facultés de théologie en Sorbonne, on crée une section des sciences religieuses, pour continuer à réfléchir sur le religieux mais d’une autre manière. Cette section va avoir pour tâche de regarder les différentes traditions religieuses à partir des différentes disciplines et de mettre le christianisme à niveau avec le judaïsme, l’islam, les différentes religions de l’Inde, d’Afrique. L’IESR fait aujourd’hui un pont entre la recherche savante et un plus large public.

L’IESR utilise cette expression plutôt au pluriel pour prendre en compte la diversité du phénomène religieux, la diversité des disciplines par lesquelles on les appréhende et éviter d’essentialiser une chose qui serait le fait religieux.

Mais l’expression fait religieux a été préférée pour son caractère englobant, sa neutralité, sa distance avec l’objet. Il y a une histoire des croyances qui ne se limite pas aux aspects extérieurs de la religion (vote des catholiques, structure marchande du protestantisme…). Parler de l’histoire des croyances, ce n’est pas les faire partager, c’est les mettre en contexte dans une approche historique. Enseigner le fait religieux c’est prendre en compte aussi la diversité symbolique de cette dimension religieuse, c’est prendre acte de l’existence de ces questions traversant les disciplines, mais sans démarche d’adhésion et avec un caractère non confessionnel.

Objectifs de cet enseignement :

Connaissance

– comprendre un univers symbolique et avoir un accès au patrimoine culturel.

– inscrire les religions dans l’histoire pour pouvoir contextualiser et avoir une approche critique, distanciée de ces traditions religieuses.

– comprendre la place des faits religieux dans le monde contemporain, pour une compréhension immédiate de l’actualité.

Compétence

Un autre argument s’ajoute progressivement, qui considère qu’en améliorant la connaissance de l’autre et de cet autre dans toutes ses dimensions, y compris dans la dimension de ses croyances, on pourrait contribuer davantage au « vivre ensemble » dans une société pluraliste et laïque.

On passe d’arguments patrimoniaux, citoyens, cognitifs à des arguments plus interdisciplinaires pour comprendre la place du religieux dans le monde actuel, pour distinguer connaissances, croyances, savoirs, opinions et participer à un débat argumenté dans une société pluraliste. Ces différents types d‘objectifs vont se retrouver dans la rédaction du socle commun des connaissances.

Socle commun de connaissances, de compétences et de culture (BO N° 17 du 23 04 2015)[1]

Domaine 5 : les représentations du monde et l’activité humaine

Ce domaine est consacré à la compréhension du monde que les êtres humains tout à la fois habitent et façonnent.

Il s’agit de développer une conscience de l’espace géographique et du temps historique. Ce domaine conduit aussi à étudier les caractéristiques des organisations et des fonctionnements des sociétés. Il initie à la diversité des expériences humaines et des formes qu’elles prennent : les découvertes scientifiques et techniques, les diverses cultures, les systèmes de pensée et de conviction, l’art et les œuvres, les représentations par lesquelles les femmes et les hommes tentent de comprendre la condition humaine et le monde dans lequel ils vivent.

Dans le cadre scolaire, il faut travailler sur la confusion entre athéisme, agnosticisme, anticléricalisme et aussi sur ce qu’est la laïcité :

Selon l’article 1 de la loi de 1905, la République assure la liberté de conscience et elle garantit le libre exercice des cultes… Le choix de la France n’est pas le choix d’un athéisme d’état ; dans les lieux où vous êtes empêchés d’aller au culte, le culte vient à vous (aumôneries d’hôpitaux, de prison, d’internat) et les aumôniers sont rémunérés sur les fonds publics.

Pour autant cette reprise en compte du religieux n’est pas évidente pour certains enseignants, parce qu’on aurait pu croire qu’on arriverait à une société où la religion n’est plus une question vive. Un sondage paru en avril 2015 selon lequel 40% des français se disent croyants, 35% non religieux, 18% athées, place la France est parmi les pays les plus sécularisés. Les chiffres n’ont pas beaucoup d’importance, ce qu’il faut noter c’est l’évolution générale et celle-ci montre que la tendance qui monte le plus c’est la non appartenance, les sans religions.

On a ce paradoxe dans les classes, d’avoir à la fois une montée, en tout cas chez les enseignants, de non appartenance et une montée des revendications identitaires chez les jeunes avec des crispations sur les signes ostentatoires, le refus de dialoguer avec les enseignants… Les enseignants sont pris entre une très grande distanciation des religions et des classes qui ont parfois des revendications identitaires très vives sur cette question des faits religieux.

Ce détachement peut être un atout, car on a moins d’enseignants qui ont un compte à régler, notamment avec le christianisme, il y a plus une forme de découverte, de curiosité.

Dans le choix français, on passe par les disciplines pour enseigner le fait religieux. Pourquoi ce choix ? 3 raisons :

– un choix dans l’idée « de ne pas en rajouter» dans les horaires et dans la création d’un CAPES, d’une agrégation de sciences religieuses.

– un choix idéologique : crainte de revenir insidieusement à un enseignement confessionnel.

– raison épistémologique : en étudiant les faits religieux à travers les disciplines, on les contextualise, on ne peut pas en faire un ghetto, ni l’impasse (ça compte dans la moyenne…)

Il faut être formé pour en parler et formé dans sa discipline : quand on demande de distinguer savoir et croyance, il faut prendre cela avec doigté. En histoire et en lettres, il est nécessaire de croiser les approches et de se poser la question : qu’est-ce qu’un récit mythique ? un récit fondateur ? il faut approcher les genres littéraires pour répondre à ces questions. En sciences, il faut reconnaitre que les connaissances scientifiques ont un statut différent, ne sont pas à mettre sur le même plan, en concurrence directe et à égalité avec des croyances personnelles. Un des problèmes de cet enseignement au travers des disciplines est que bien souvent l’accent est mis sur la naissance des traditions, au détriment de leur évolution au fil des siècles ; et vouloir tout dire au moment de la naissance parce qu’on ne retrouvera pas cela dans d’autres chapitres, peut tendre à une approche fondamentaliste et à figer des traditions religieuses. Or il ne faut pas manquer l’occasion d’insister sur la diversité de l’évolution historique et géographique des traditions.

Ou en sommes-nous aujourd’hui ?

Il y a une vraie question de cohérence des enseignements : les sujets ont avancé et reculé au gré des changements dans les programmes scolaires.

En 6ème 3 thèmes en histoire permettent d’aborder le fait religieux

– La longue histoire de l’humanité et des migrations.

– Récits fondateurs, croyances et citoyenneté dans la Méditerranée antique au Ier millénaire avant J.-C.

– L’empire romain dans le monde antique

En 5ème

– Chrétientés et islam (VIe-XIIIe siècles), des mondes en contact

– Société, Église et pouvoir politique dans l’occident féodal (XIe-XVe siècles)

Transformations de l’Europe et ouverture sur le monde aux XVIe et XVIIe siècles

En 4ème société culture et politique dans la France du 19ème siècle vont permettre de  travailler autour de la laïcité

Des efforts sont faits en 2nde avec la coexistence religieuse en Méditerranée, le « mythe andalou ». Mais en lycée il y a beaucoup moins de place pour le fait religieux qui tend à disparaître quand on aborde le monde contemporain après la révolution française. Une solution serait de tirer parti des TPE ou des partages entre disciplines, cela se fait, mais au gré des enseignants. Une autre entrée peut se faire par l’enseignement moral et civique et par les questions sur la laïcité puisque à chaque degré il est proposé d’étudier la laïcité et le pluralisme des religions, des opinions : c’est une approche qui permet d’aborder la pluralité de la société française et de prendre en compte croyance et incroyance (repréciser le vocabulaire) et ses représentations de l’autre.

Un effort de formation est nécessaire pour pouvoir être armé contre les possibles contestations des enseignements, pour pouvoir le faire de manière convenable et pouvoir gérer des résurgences de revendications identitaires.

Pour finir, Isabelle Saint Martin a souligné le E de IESR car le problème n’est pas franco français, l’IESR s’intéresse à la manière dont les différents pays européens abordent ce sujet. L’IESR met en place les recommandations du Conseil de l’Europe en s’appuyant notamment sur la Recommandation 1720 du conseil de l’Europe en 2005

§8 La connaissance des religions fait partie intégrante de celle de l’histoire des hommes et des civilisations. Elle est tout à fait différente de la croyance en une religion donnée et de sa pratique. Même les pays où une confession est largement prédominante se doivent d’enseigner les origines de toutes les religions plutôt que d’en privilégier une ou de promouvoir le prosélytisme.

Dans ce cadre, L’IESR participe à des projets collectifs comme le projet Comenius pour bâtir, avec 5 pays européens, des modules de présentation des grandes traditions religieuses, accessibles sur internet.

Comment évaluer cet enseignement à l’aune de cette ambition du « vivre ensemble » et du pluralisme ? on ne peut attendre que cela change en un coup de baguette magique. Mais le pari de la connaissance, de la formation à l’esprit critique, qui permet de mettre à distance ses propres convictions, semble être la base pour faire progresser une éthique du respect et une meilleure compréhension mutuelle.

[1] © Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. www.education.gouv.fr