Notes prises lors de la conférence de Ghaleb Bencheik « Les lectures du Coran. Approches historiques et théologiques » le 22 02 2018

Ghaleb Bencheik commence par exprimer son bonheur de revenir à Brest et son amitié et respect pour tous. Le sujet la révélation coranique avec des approches historiques et théologiques vient à point nommé pour une réflexion dépassionnée. Ghaleb Bencheik souligne qu’on ne peut oublier que les attentats ont été commis aussi au nom de cette tradition religieuse et au nom de la révélation coranique. Et la possibilité de pouvoir parler sereinement est toujours à mettre à profit.

Il se présente comme un témoin, un introducteur de débats et se place d’emblée sur un plan testimonial.

Le Coran, la révélation coranique pour les croyants musulmans c’est un monument, un chef d’œuvre, du point de vue stylistique, sans parler de son contenu. Pour les non musulmans c’est un texte déroutant, il n’est pas composé avec une introduction, un développement, une conclusion. Le Coran est divisé en sections, ou sourates, classées par ordre de longueur décroissante, pas par ordre chronologique, d’où un désordre apparent.

Définition étymologique

Le mot Coran, longtemps « alcoran » vient de l’arabe qui lui-même vient du syriaque arabisé. Les « coranologues » essaient de trouver la racine du mot qui vient d’un mot syriaque signifiant une sorte de lecture à haute voix lors d’un office. C’est un mot très dense, polysémique, le verbe veut dire à la fois : réciter, lire, prêcher, proclamer, appeler, diffuser et une deuxième acception c’est rassembler, protéger.

On peut avoir deux approches, une approche confessante et une approche anthropologique du fait religieux. Dans la logique interne de la foi islamique : ce que nous avons entre les mains est un codex, un recueil, en revanche ce qui est Coran, dans la doctrine classique,  est une descente par fragments d’un autre Coran dont l’archétype est gardé dans les cieux. Cet original archétypal, ce livre céleste est descendu par fragments.

Définition théologique 

Dieu vivant parle aux hommes et sa parole est consignée par écrit. Ce même Verbe de Dieu qui a été donné à Moïse dans le buisson ardent. Et ce même Verbe de Dieu, selon la christologie coranique, s’est fait homme parmi les hommes en la personne de notre seigneur Jésus. Et toujours ce même Verbe de Dieu s’est fait Livre, et est descendu ou révélé, d’une manière échelonnée, entre 610 et 632, soit 23 ans lunaires.

Cette révélation a eu lieu en deux phases distinctes, une phase dite mecquoise, à peu près de 610 à 622 et une phase dite médinoise de 622 à 632.

Selon la version standard, rapportée par écrit quasiment deux siècles plus tard, un homme dont le nom était Mohamed : le loué (nom pas très répandu à cet époque), voulant fuir le vacarme de la ville, se retire dans une grotte dans les faubourgs de la ville pour s’adonner à la contemplation. A ce moment, il a une apparition ou une simple voix de l’ange Gabriel, il entend « lis » par trois fois. Et à chaque fois, il répond « je ne sais pas lire ». Au bout de la troisième fois, on (les musulmans) considère que c’est le début de la révélation, il entend :

« Lis, au nom de ton Seigneur, Celui qui a créé l’homme à partir d’une adhérence. Lis ! au nom de ton Seigneur, ton Seigneur généreux, Celui qui a appris par la plume à l’homme ce qu’il ne savait pas. »

La révélation va s’interrompre un moment puis elle va se poursuivre alors qu’il est emmitouflé dans un manteau par une autre injonction « ô toi couvert d’un manteau, lève-toi et prêche » et c’est là que Mohamed a acquis la conscience qu’il avait une mission et que son apostolat a commencé. Il a commencé à prêcher, mais n’a convaincu personne ; au bout de 10 ans, à la veille de l’hégire, il n’y a qu’une centaine de convertis, de prosélytes autour de Mohamed.

Pour en revenir à l’organisation du Livre, il y a 114 sourates en dehors de la première. La première est une sorte de sourate ouvrante, de liminaire, les deux dernières sont spécifiques, conjuratoires : pour certains ce sont des invocations, elles ne font pas partie du Coran, pour d’autres elles en font partie. La première sourate fait 288 versets, la dernière 3. Plusieurs versets donnent une péricope et plusieurs péricopes donnent une sourate (mot qui est aussi d’origine syriaque).

Les sourates de la période dite mecquoise, les premières révélées, sont courtes et se trouvent à la fin du Livre. On a des versets courts, assonancés, rythmés, pas tout à fait de la poésie, pas non plus de la prose. Il y a un impact émotionnel, hypnotique même, à la récitation de ces versets, une beauté littéraire, stylistique, poétique, réelle. Elles sont de nature spirituelle, dénoncent l’idolâtrie, appellent à n’adorer que le Dieu unique, à la solidarité, à la fraternité. Elles rappellent la vie des prophètes, elles se présentent comme une continuité, propagatrice d’un même message premier, qu’on trouve dans la Torah et dans l’Evangile et dans le psautier de David.

Dans la période dite médinoise il va y avoir les sourates les plus longues dans lesquelles on va trouver les versets dogmatiques, prescriptifs, normatifs ; sur l’ensemble, il y en a à peu près 80 qui ont une portée normative soit environ 1%. Alors qu’aujourd’hui, on fait une fixation maladive sur ces normes.

Mohamed décède le 8 juin 632, intestat, sans laisser de consignes. De son vivant, le Coran n’est pas rassemblé, fixé par écrit, ce n’est pas nécessaire de par la mémoire prodigieuse des arabes de cette époque qui permet de se rappeler des dizaines de milliers de vers. Il n’y a d’ailleurs qu’une écriture très rudimentaire, avec des lettres homographes et ce n’est qu’à la fin du 7ème siècle que l’on a introduit les points diacritiques pour les distinguer. Du vivant du prophète on n’avait pas besoin d’écrire. Les quelques supports de fortune étaient des feuilles de palmier, omoplates de chameau, des tessons, du cuir qui servaient d’aide mémoire, le reste étant retenu par cœur.

Le premier successeur du prophète, le calife  (lieutenant tenant lieu de) a voulu rassembler quelques versets dans des feuillets reliés. Le calife qui lui succèdera ne s’occupe pas trop de cela.

Le 3ème calife Othman (644 à 656) décide de faire une recension vers 650, mandate une commission pour ramener d’autres écrits, les comparer, a pris sur lui d’évacuer ce qui était peut-être parole de Dieu plutôt que d’y inclure ce qui n’était pas parole de Dieu et donc n’a pas été exhaustif et a décidé de détruire les autres variantes. Mais il n’a pu détruire toutes les variantes, il en existe d’autres jusqu’au 10ème siècle.

En arabe, avant qu’il y ait les vocalises, on ne peut pas savoir si un mot est sujet ou complément, ce qui a donné lieu à des interprétations différentes. Sur la même version, un même texte peut admettre 7 lectures différentes puis on est passé à 10 et même 14 mais les 7 premières sont considérées les lectures principales.

Il y a dans les versets coraniques des versets amphibologiques (ex : je loue un appartement : suis-je le bailleur ou le locataire ?). Ce n’est plus une question d’interprétation, c’est le lecteur qui tranche dans un sens ou dans l’autre, selon sa psyché.

Donc la vulgate d’Othman permet plusieurs compréhensions, plus les deux approches littéraliste d’une part et anagogique de l’autre. Les deux exégèses ont coïncidé longtemps, jusqu’il y a quelques décennies où on s’est crispé sur la lecture littéraliste.

Très tôt il y a débat sur la nature du verbe de Dieu : s’agit-il d’« ipsissima verba dei » la parole incréée de Dieu, consubstantielle à Dieu et le Coran est incréé. Mais cette parole incréée épouse les contingences humaines au moment de la prédication de Mohamed et dans ce cas quel sens a la justice divine, quelle place pour le libre arbitre ? et de ce point de vue la parole divine est une création divine qui va épouser une langue, la langue arabe (s’agit-il du dialecte mecquois ou d’une langue un peu supérieure) va s’incarner, épouser une contingence et la langue humaine et de ce fait le Coran est créé.

Très tôt l’école dite des Mu’tazilites va opter pour le Coran créé, mais ne sera que peu suivie. Cependant les débats ont toujours existés, mais aujourd’hui oser dire que le Coran est créé est un blasphème.

De tous temps les exégètes du Coran ont utilisé l’outillage intellectuel du moment, la science de leur époque pour étudier le Coran. Il est étonnant maintenant d’entendre dire qu’il ne faut surtout pas utiliser les sciences humaines pour pénétrer l’essence du Coran. Aujourd’hui le projet « Corpus Coranicum » réunit une équipe de musulmans et de non-musulmans et utilise les disciplines comme  l’herméneutique, l’historiographie, la philosophie, la paléographie, la sémiotique, la codicologie, la linguistique, au secours de la compréhension, de la pénétration du Coran.

A Sanaa, en 1972, dans la mosquée, on a trouvé le plus vieux Coran qui existe, avec des variantes que l’on continue d’étudier. En Egypte au moment de la campagne de Bonaparte, on a trouvé le « Codex Parisino-petropolitanus » qui représente à peu près 40% du Coran connu aujourd’hui. On a découvert qu’il y a 5 copistes.

De nos jours, il y a un mouvement de savants musulmans, de philosophes, de théologiens pour lesquels « seul le Coran m’oblige »,  le Coran est leur objet d’études pour essayer de comprendre ses résonances, sa portée.

Ce qui est Parole de Dieu et ce que nous avons entre les mains n’est pas tout à fait  synonyme. Ce que nous avons entre les mains est une projection de la parole divine transcrite qui demeure, pour les croyants, cette parole faite Livre. Le calife Ali (le 4ème calife) disait « le cœur de Coran ne parle pas de lui-même, le Coran est entre deux couvertures, ce sont les hommes qui le font parler » sous entendu interpréter, or on interprète toujours selon son vision du monde.

Tout discours quel qu’il soit doit être compris, selon la réception qu’on en a, surtout quand on a perdu le locuteur premier avec l’intention. L’auteur premier est Dieu, pour les croyants, le locuteur premier n’est pas là, le destinataire premier devient à son tour le « destinateur » et il va y avoir une réception seconde de la part de ses compagnons. De nos jours on a perdu l’intonation, on n’a plus celui qui peut expliquer, il faut faire le deuil à jamais là-dessus, il reste simplement une compréhension, or il faut savoir relativiser le texte à son contexte et ne jamais l’utiliser comme un prétexte pour un nouveau contexte sinon on prend en otage le texte.