Notes prises lors de la conférence de Jean-Marc Ferry « Les nouvelles croyances », 26 03 2019

Jean Marc Ferry commence par préciser que ces nouvelles croyances :

  • ne sont pas religieuses
  • montent en puissance avec internet et les nouvelles découvertes de la physique (théorie de la relativité, physique des particules…)
  • déstabilisent notre compréhension du réel

Le regard philosophique sur ces croyances est un appel à élargir notre compréhension pré ontologique : l’idée de ce qui est réel ou ne l’est pas, de ce qui est possible ou non.

Inventaire des nouvelles croyances 

  • les grands mythes (Gilgamesh…), les contes et légendes populaires auraient des fondements réels et les elfes, gnomes, géants… n’existeraient pas que dans les contes.
  • existence d’être immatériels [Père François Brune: « les défunts nous parlent »]. Les défunts existeraient dans un monde différent du nôtre, sur un registre vibratoire. Nous serions sur terre pour nous élever en spiritualité pour communiquer avec ces êtres.
  • expériences de mort imminente (EMI), où les individus (en état de mort clinique) rapportent à leur réveil des expériences de sortie du corps, de lumière, de rencontre… ces aperçus impliqueraient une transformation de notre regard sur le monde : le critère d’électroencéphalogramme plat ne serait plus pertinent pour décider de la mort, il existerait une conscience indépendante du système neuronal. [JJ Charbonnier, médecin urgentiste, « Les preuves scientifiques d’une vie après-vie», « La Conscience Intuitive Extraneuronale »]
  • réincarnation : personnes qui ont des souvenirs que leur parcours ne leur permet pas d’avoir.
  • existence de différents modes de réalité : il n’y aurait pas de séparation véritable entre le matériel et l’énergie. La réalité matérielle ne serait qu’une toute petite partie de la réalité.
  • autosubsistance de la conscience, qui serait de nature quantique et serait partout [ Guillemant « la physique de la conscience»]. Il y aurait différents plans de réalité, différentes modalités du corps, le réel serait vibration.
  • vocation des êtres humains à la paix : les êtres humains seraient sur terre pour évoluer, apprendre à vivre ensemble pour aller vers une civilisation plus spirituelle.
  • enfants indigos, qui viendraient d’autres planètes
  • UFO : les ufologues contestent que ce soit une croyance. Certains états auraient de dossiers secrets sur les Ovnis…. Le GEIPAN (Groupe d’Études et d’Information sur les Phénomènes Aérospatiaux Non Identifiés) qui fait partie intégrante du Centre National d’Études Spatiales (CNES) recueille des témoignages sur ces phénomènes.
  • existence de civilisations antédiluviennes avancées. Les civilisations que nous croyons premières (Sumer) seraient des vestiges décadents de ces civilisations plus avancées (continents engloutis….).

Les nouvelles croyances se heurtent à une sorte de mur : aux stratégies de neutralisation de ces expériences polémiques répondent les théories du complot selon lesquelles on nous cache la réalité. Le discrédit des scientifiques va de pair avec la libération des témoignages portant sur des expériences anormales ou exceptionnelles

Est-il plausible que tous les témoignages soient le fait de charlatans, d’illuminés, de schizophrènes ? bien des témoins sont des personnes, honnêtes, équilibrées, compétentes…

Quelle mise à l’épreuve critique ?

– les thèses sceptiques invoquent la puissance de la rumeur : les témoins seraient amenés presque inconsciemment à imaginer ces phénomènes. Mais parallèlement la rumeur libère la prise de parole de gens qui pensent avoir été l’objet d’expériences et n’osent pas le dire de peur de passer pour fous et s’autocensurent. Ce comportement d’autocensure est connu des institutions consacrées aux expériences exceptionnelles. Ces instituts [l’Institut des Sciences Noétiques à Genève] ont pour but d’étudier scientifiquement ces phénomènes et de soulager les angoisses des sujets laissés à eux-mêmes.

– une autre hypothèse serait que le désenchantement du monde porte à la recherche de récits merveilleux, réconfortants ; le besoin de vivre en esprit dans un monde réenchanté serait si impérieux que de bonne foi on adhérerait à un imaginaire qu’on affirme non fictionnel. Cela peut expliquer la foi dans un témoignage, mais plus difficilement le témoignage lui-même et il semble raisonnable d’en admettre la sincérité. La sincérité des témoins peut être établie par la régression hypnotique. Certains scientifiques américains ont ainsi interrogé sous hypnose des gens pensant avoir été enlevés par des extraterrestres (abductions) et qui décrivent tous la même chose. Peut-on ignorer toutes ces expériences ?

– une agence manipulatrice distillerait des messages mystificateurs à la population et s’attacherait à générer une opinion avide de merveilleux pour détruire la civilisation rationnelle. La théorie du complot change de camp.

L’espace public est clivé entre médias de masse et réseaux internet : aux accusations d’affabulation répondent les dénonciations de  désinformation. Pour les adeptes des réseaux, les médias traditionnels représentent « l’establishment » intellectuel, culturel, scientifique, économique et politique, soupçonné de contrôler l’information et d’écarter tout ce qui dérange. Du point de vue des médias officiels, internet est considéré comme un réservoir de fake news, qu’il conviendrait d’annihiler. C’est l’aspect politique d’une situation troublante.

Mais un aspect plus fondamental justifierait que l’on parle d’un trouble ontologique (qui porte sur le réel). Si certains récits sont délirants, des narrateurs sont apparemment de bonne foi mais se réfèrent à un monde séparé du monde commun, non partageable et le crédit que leur accordent les auditeurs n’est pas associé à une recherche de vérité. La mise à l’épreuve critique est déroutée de ses voies ordinaires : on ne peut pas appliquer les méthodes scientifiques pour contrôler la validité de ces expériences [Rémi Chauvin, entomologue, s’est intéressé de très près à la communication avec les morts, à la télépathie et a cherché à les prouver scientifiquement.]

Toutes ces croyances participent d’une mythologie agglutinante où chaque croyance peut renvoyer aux autres. On parle de folklore mais c’est d’abord un monde. Il s’agit d’une réalité alternative et son imaginaire, qu’il soit ou non rationnellement pertinent, organise une forme de vie pour des communautés d’un réseau foisonnant, qui abrite sans doute des foyers de paranoïa intense, mais accueille aussi des convivialités ouvertes, structurées sur des valeurs positives et des exigences légitimes.

Le trouble ontologique

Le réel ne se réduit plus à l’existence tangible. Le bon sens inclinerait à ne pas tout renvoyer à une déficience psychologique des témoins ou à une supercherie.

L’obstination des sceptiques fait question elle aussi :

–  Elle peut tenir à l’indifférence, qu’est-ce qu’on peut en faire ?

– On peut soupçonner que la peur sociale et le trouble ontologique ne s’allient pour verrouiller un enfermement dans le « bien connu ». À la résistance à la perte des repères fondamentaux s’ajoute une crainte du discrédit de l’entourage quand la raison porte à croire certains rapports.

Le trouble ontologique est sérieux dans la mesure où il devient impossible de tout renvoyer au folklore, à la superstition, le monde des « croyants » pourrait se révéler aussi solide que le nôtre. Il y a dans certains cas des récits qui valent comme des preuves (récits de EMI).

Kant : «  le philosophe, n’accorda-t-il qu’un seul de ces récits comme vraisemblable, de quelle importance ne serait pas un pareil aveu et quelles conséquences merveilleuses n’en tirera-t-on pas si un seul évènement de ce genre peut être regardé comme établi ». Or la raison doit s’affronter à une foule d’évènements de ce genre, évènements rapportés par des écrivains et journalistes (Didier Van Cauvelaert, Stéphane Alix), des scientifiques (Jean Pierre Petit, physique des plasmas). Certains évènements peuvent être regardés comme établis, en regard d’une raison ouverte (ce ne sont pas des faits établis : un fait est établi si l’expérience est reproductible et l’interprétation n’est pas immunisée contre une réfutation possible). Ces évènements avérés ne se prêtent pas à ce genre de contrôle scientifique.

Que nous indiquent ces évènements avérés ? à quelle hypothèse explicative cette réalité supposée invite-t-elle ?

Ces évènements indiquent une sorte d’au-delà indéterminé : une existence possible mais inaccessible ; on peut en déduire l’idée d’un monde qui échappe à notre faculté de connaître. Il y a peut-être une réalité qui ne coïncide pas du tout avec la scientificité. La supposition d’une réalité qui se soustrairait à l’appréhension usuelle invite à des hypothèses fondamentales sur la nature de ce milieu, en particulier sur l’espace et le temps qui conditionnent l’accessibilité du réel.

Espace et temps sont des modes péremptoires de donation du réel pour nous. Nous les considérons comme incontestables tels que nous les présentent nos intuitions pures, mais justement la physique intervient là et met en question ces intuitions. La physique, sans proprement apporter des réponses aux questions philosophiques sur l’espace, le temps, la matière, le vide, propose des aperçus insolites, déstabilisants et ces résultats pourraient être pris en considération par la philosophie comme de nouvelles données de sa réflexion ontologique [Etienne Klein « Matière à contredire »]. Par contraste avec la réalité vécue, le réel, objectivé par la physique contemporaine, parait faire sauter les verrous de la vraisemblance. Les découvertes du début du 20ème siècle sont contre-intuitives mais très convaincantes si on considère qu’elles permettent d’aller sur la lune ; la philosophie peut voir un défi dans les résultats de la physique contemporaine mais en retour la philosophie ouvre une brèche où pourrait s’instiller les éléments d’une nouvelle compréhension de soi et du monde.

Les découvertes de la physique quantique et de la physique des particules et leurs applications sont aussi déroutantes [Carlo Rovelli « l’ordre du temps »] que les histoires qui font l’objet des nouvelles croyances.

Nous sommes déroutés sur le terrain ontologique et des relais sont pris par des scientifiques qui vont de la physique à la métaphysique.

Principales conclusions tirées par les physiciens qui viennent étayer les nouvelles croyances :

– idée que l’univers est fait d’informations avant d’être fait d’espace, de temps, de matière.

– espace, temps, matière, n’existent pas tels qu’on les perçoit, l’espace est une création de la conscience, le réel est créé par l’esprit humain. La matière est une cristallisation de la conscience.

– la mort est une illusion, l’existence d’une vie de la conscience après la mort est plausible, l’âme est une réalité scientifiquement possible.

Conclusion 

Notre précompréhension du réel est déstabilisée et cela mérite une réflexion qui relativise nos préjugés entre ce qui est réel et ne l’est pas, ce qui est possible et ne l’est pas et on peut considérer qu’il y va fondamentalement d’une confiance, on accepte de considérer ces témoignages sans en être désemparés, on accepte l’idée que le réel est beaucoup plus mystérieux que l’on ne pense, donc on fait confiance à un réel que l’on ne peut plus préjuger.